Vaccination : le professeur Joyeux jugé par ses pairs pour ses « discours alarmistes »
LE MONDE | • Mis à jour le | Par François Béguin
Le professeur Henri Joyeux est-il coupable d’avoir alimenté, ces derniers mois, la défiance à l’égard de la vaccination ? Le chirurgien cancérologue, âgé de 70 ans, doit comparaître, vendredi 27 mai, devant la chambre disciplinaire du Conseil de l’ordre des médecins de Languedoc-Roussillon, à Montpellier, pour avoir « déconsidéré la profession », en tenant des « discours alarmistes » et en s’appuyant sur des « preuves scientifiques non établies ». Retraité du bistouri depuis septembre 2014, il risque une radiation du tableau de l’ordre, c’est-à-dire une interdiction de faire état de son statut de docteur en médecine.
C’est dans le domaine de la santé que M. Joyeux a trouvé une large audience et de nombreux partisans. Doté d’un certain bagout, il revendique le parler vrai du scientifique lanceur d’alerte face aux industries agroalimentaires ou pharmaceutiques. Avec plus de 150 000 exemplaires vendus, son livre Changez d’alimentation (Le Rocher) est un succès de librairie, certaines de ses vidéos sur le Web ont été vues des dizaines de milliers de fois, les conférences qu’il tient deux à trois fois par semaine en France ou à l’étranger font salle comble, et 580 000 personnes recevraient régulièrement, dans leur boîte e-mail, sa lettre électronique d’information.
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Un million de signatures
« Henri Joyeux surfe sur le mythe de la naturalité, qui professe l’idée que la nature est naturellement bonne et qu’en mangeant sain, on va sauver sa santé », explique Jocelyn Raude, sociologue à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes. « Il est toujours sur le fil du rasoir, mais il ne bascule jamais dans un discours infondé et ne promeut pas des pratiques toxiques, décrypte le chercheur. Il vante les vertus du thym, du chocolat, du miel, dans un mélange de bon sens et de démagogie nutritionnelle. »
En mettant en garde contre certains vaccins, Henri Joyeux a toutefois franchi une ligne rouge aux yeux des autorités sanitaires. Dans un texte publié sur Internet et affichant aujourd’hui plus d’un million de signatures de soutien, le médecin dénonce les substances « dangereuses », voire « très dangereuses », contenues selon lui dans les adjuvants des vaccins dits hexavalents (qui protègent de six maladies) que les parents sont obligés d’utiliser pour leurs enfants, en raison de la pénurie de vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), les trois seuls obligatoires. Il assure y voir une « arnaque des laboratoires » pour imposer un vaccin « sept fois plus cher ».
Ces accusations, contestées par une grande partie de la communauté scientifique, ont pourtant été largement relayées sur les réseaux sociaux. « Avec ses prises de position agressives, M. Joyeux a instillé un doute sur la vaccination », regrette Patrick Rebillard, pédiatre dans un hôpital lyonnais. « On doit désormais argumenter de plus en plus longtemps avec certains parents pour vacciner leurs enfants, et expliquer qu’on n’a pas d’intérêt financier à le faire », ajoute-t-il. « On ne peut pas dire n’importe quoi sur une action publique qui a sauvé des vies », avait estimé Patrick Bouet, le président du Conseil national de l’ordre, le 25 juin 2015.
« Marginalisé au sein du monde scientifique »
Les autorités sanitaires ont longtemps hésité à répondre à ce texte. « Le débat a fait rage », reconnaît Roger Salamon, le président du Haut Conseil à la santé publique (HCSP), qui dénonce certaines « contre-vérités formelles très nettes » de la part de M. Joyeux, sur la question des vaccins. « Il n’a pas eu une activité médicale ou de recherche qui l’autorise à avoir un avis d’expert sur ce sujet. Il est chirurgien, pas infectiologue, ni statisticien ni chercheur en immunologie. » « Cela fait des années qu’il n’a rien publié », constate un cancérologue, qui juge son confrère « marginalisé au sein du monde scientifique et médical ».
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Des accusations auxquelles M. Joyeux entend bien répondre point par point. « Un cancérologue doit connaître dans le détail le système immunitaire de l’enfant, du nourrisson à l’adolescent, comme de l’adulte », explique-t-il dans un e-mail au Monde. Se disant victime d’un « procès médico-politique », il assure sur son site Internet que le « seul objectif » des autorités sanitaires est aujourd’hui de le « faire taire par les moyens légaux », afin qu’il « rentre dans le moule » et ne dise rien d’un « scandale d’Etat » impliquant les laboratoires pharmaceutiques.
« Je trouve odieux qu’il soit convoqué pour avoir osé soulever un sujet tabou », s’indigne Michèle Rivasi, députée européenne Europe Ecologie-Les Verts. « S’il devait être radié pour s’être attaqué à la religion de la vaccination, cela radicaliserait les positions… », estime-t-elle. La décision de la chambre disciplinaire de Montpellier devrait être rendue dans les trois à six semaines. Patrick Bouet s’est déjà dit prêt à faire appel auprès de la chambre disciplinaire nationale, s’il juge la peine insuffisante. Il aura deux mois pour le faire. Et c’est le Conseil d’Etat qui pourrait avoir le dernier mot dans cette affaire.
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