Une vidéo a longtemps circulé sur Internet, affirmant que les nuggets de poulet de McDonalds était fabriqués à partir d’une pâte ressemblant à de la guimauve, rose et gluante, faite d’abats, de cartilage, de tendons, et d’autres déchets de poulet.
En réalité, cette vidéo était un « hoax », ou canular sur Internet.
Des journalistes ont en effet pu pénétrer dans les usines à nuggets de McDonalds. Ils ont constaté que les nuggets étaient bien faits à partir de blancs de poulet [1]
Ces blancs sont hachés, assaisonnés, puis mélangés avec de la peau de volaille.
Ils sont enfin moulés en quatre formes différentes (l’os, le ballon, la botte et la cloche) puis recouverts de panure par deux fois.
Ce procédé de fabrication n’a rien d’ignoble en soi. La peau du poulet est comestible, bien des personnes en raffolent. Vous pouvez voir toutes les images ici [2].
D’où viennent les poulets ?
Ce que l’histoire ne dit pas, c’est d’où viennent les poulets qui servent à fabriquer les nuggets.
Comment ils sont élevés, comment ils sont nourris.
C’est bien simple : personne ne s’intéresse à la question.
Parmi les innombrables journalistes qui ont enquêté sur les nuggets, aucun à ma connaissance n’a posé la question.
Ce qui prouve une nouvelle fois que nous vivons une époque d’obscurantisme rarement atteint dans l’histoire.
Vivons-nous vraiment l’âge d’or du progrès ?
L’omniprésence des ordinateurs dans notre environnement nous donne un peu vite l’impression de vivre une époque de triomphe de la science et de la raison.
Nous nous moquons de nos anciens, que nous imaginons naïfs, crédules, englués dans les superstitions, tandis que nous serions objectifs et éclairés.
Je n’ai pas vécu au Moyen-Âge, mais je pense que personne n’aurait donné à ses poulets, ses vaches ou ses moutons de la nourriture dénaturée, farines animales ou soja transgénique, en imaginant qu’au fond ce n’était pas grave puisque tout cela allait disparaître comme par enchantement une fois dans l’estomac de la bête.
C’est aujourd’hui que les gens prennent les animaux pour des alchimistes. Ils acceptent de manger de la viande et des produits animaux alors qu’ils n’ont pas la moindre idée de qui les a nourris, et comment.
Cela alors même que, selon toute probabilité, la viande ou le poisson qui se trouvent dans les plats préparés proviennent de pays en voie de développement avec des processus de fabrication dont la qualité est la dernière des exigences du producteur.
Bien produire : « surtout pas ! »
Quand bien même ce producteur voudrait bien faire, il ne peut pas. Choisir une nourriture de qualité pour les animaux augmenterait ses coûts et entraînerait de fait son exclusion du marché agro-alimentaire international.
Ces produits sont importés par des maisons de trading (négoce) disséminées dans toute l’Europe, qui les font directement livrer en usine et qui ne voient jamais la marchandise réelle. Les négociateurs baignent dans le fictif et le virtuel.
Leur objectif exclusif est financier. Ils peuvent mettre en concurrence des milliers de producteurs à travers le monde. La pression est donc maximale pour réduire toujours plus leurs coûts, ce qui passe avant tout par une dégradation de la nourriture apportée aux bêtes, principal poste de dépense.
Le but sera de trouver les produits alimentaires capables de faire grossir le plus possible les animaux au prix le plus bas possible, peu importe l’état de santé dans lequel ils arrivent à l’abattoir.
Où sont les consommateurs responsables ?
Le malheur est que tout ça arrive ensuite dans des rayons de supermarché, où défilent des acheteurs, poussant un caddie qui vont consacrer en moyenne moins de 10 secondes à étudier l’étiquette de ce qu’ils achètent, quand ils prennent le temps de la lire.
Leur décision d’achat est avant tout dictée par les spots publicitaires qu’ils ont vus à la télévision. Et tout est fait pour qu’ils ne fassent jamais aucun lien entre les cochonneries données à manger aux animaux et les maladies graves qu’ils rencontrent eux-mêmes après quelques années de consommation, du cancer à la dépression en passant par le diabète, l’arthrose et l’Alzheimer.
Mais la réalité, évidemment, c’est qu’il n’y a pas de magie.
Si l’animal a reçu des médicaments, des hormones, des antibiotiques, des OGMs, s’il a été nourri avec du tourteau de farines animales, de soja transgénique, et s’il a bu de l’eau contaminée aux métaux lourds, vous retrouverez tout ça dans votre assiette.
Et bien sûr, rien de tout ça ne se voit jamais à l’œil nu. Même au goût, ce n’est pas facile, ou impossible.
Par contre, quand vous mangez de la viande, du lait ou des œufs issus d’un animal qui a mangé des cochonneries, c’est chez vous, dans vos propres organes, qu’elles viendront s’accumuler. Chez les femmes enceintes, les toxines passent dans le fœtus.
Aveuglement collectif
Les gens font mine de ne pas savoir. Les médecins eux-mêmes, obligés de traiter leurs patients à la chaîne, ne peuvent consacrer le temps nécessaire à leur donner les bases d’une éducation nutritionnelle.
Nous faisons comme si les « autorités sanitaires » s’occupaient de tout à notre place, empêchant que ne soient commercialisés des produits qui nuisent à notre santé. Pourtant, nous voyons bien, par ailleurs, que leur échec dans le domaine est total, avec une progression vertigineuse des maladies causées par la malbouffe et du nombre d’obèses dans nos rues.
Mais au fond, reconnaissons-le, nous partageons une terrible mauvaise conscience collective au sujet de notre nourriture.
Nous savons tous qu’il n’est pas normal qu’un produit aussi transformé que les nuggets de poulet coûte moins cher, au kilo, que le poulet.
Mais nous sommes devenus esclaves de notre système de valeur absurde, qui veut qu’on ne se sente intégré, moderne, « bien dans son époque », qu’à partir du moment où l’on possède des myriades de gadgets inutiles, et peu importe s’il faut pour cela rogner sans fin sur le budget alimentation.
Une décision catastrophique
Dans les pays en développement, l’alimentation représente toujours la plus grande partie du budget. C’était pareil en Europe jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Mais chez nous, comme par miracle, la part consacrée à l’alimentation a diminué sans cesse depuis 50 ans, pour ne plus représenter aujourd’hui que 14 à 21 % de la dépense totale des ménages [3].
En réalité, il n’y a eu aucun miracle.
Les gens ont simplement décidé, plus ou moins volontairement, et en tout cas sous l’influence du marketing de masse, d’acheter des produits de loisir et gadgets qu’ils n’avaient pas avant, et pour cela réduire la part de leur budget nourriture dans leur budget total.
Quarante ans de dégradation rapide
Dans les années 60-70, fruits et légumes, viandes et poissons, œufs et fromages ont commencé à perdre leur goût.
Cela ne se fit pas sans réaction du public, occasionnant un vif débat que nous rappelle aujourd’hui encore le succès du film « L’aile ou la cuisse », sorti en 1976, mettant en scène Louis de Funès affrontant un escroc de l’industrie agro-alimentaire.
Les années 80 furent celles où les aliments perdirent aussi leur texture : l’apparition de tomates, pêches, abricots durs comme du bois et capables de rester intacts durant des semaines, sans jamais vraiment mûrir, ou passant directement du stade « pas mûr » au stade « pourri ».
Malgré les tentatives héroïques de résistance de « 50 millions de consommateurs », (devenu 60 millions de consommateurs en 1995) et de certains militants du bio avant l’heure, le mouvement s’accéléra dans les années 90.
Au lieu d’exiger un retour à de vrais aliments sains et naturels, l’immense majorité de la population trouva une « solution » au besoin de « bon goût » en se tournant vers les aliments industriels hautement transformés : chips, biscuits, plats surgelés, conserves, glaces, bonbons, chocolats et boissons sucrées.
Seules certaines personnes âgées ont continué à entretenir des potagers, dans les campagnes, ou d’ailleurs simplement à consacrer du temps à faire la cuisine, tandis que les masses se jetaient sur les plats préparés et les fast-foods.
L’invention du bricolage alimentaire
Les industriels ont anticipé le mouvement, en créant sans cesse de nouveaux produits alimentaires, jamais vus auparavant, à base de farines raffinées et appauvries, graisses cuites de mauvaise qualité, sucre, sel et arômes artificiels.
Parfois basés sur des recettes anciennes, ou cultivant par le packaging (emballage) une image parfaitement usurpée de fabrication artisanale (crème brûlée La Laitière par exemple), cette évolution signa l’augmentation de la quantité de sucre consommée dans l’alimentation, avec pour conséquence, en l’espace de quelques années à peine, l’apparition de 40 à 50 % d’adultes en surpoids ou obèses, et des effets particulièrement dramatiques sur les enfants et adolescents, devenus la proie du diabète de type 2, une maladie qui, dans les années 80 encore, ne touchait les jeunes que de façon rarissime.
Une industrie immense s’est développée, consacrée exclusivement à produire des parfums alimentaires. L’objectif : tromper les sens des consommateurs. Leur donner l’impression de manger encore de la framboise là où il n’y a plus de framboise, du bon poulet grillé aux herbes d’autrefois là où il n’y a plus que des volatiles malades, artificiellement maintenus en vie par des injections d’antibiotiques.
C’est le rôle d’une multinationale comme Givaudan par exemple, ignorée du grand public. Consacrée exclusivement à la production de parfums, chimiques ou non, elle vient d’annoncer un chiffre d’affaires 2014 de 4,4 milliards de francs suisses, et fait partie des plus grosses capitalisations boursières de la bourse de Zurich [4].
Les ignobles méthodes du marketing
Plus important encore que l’industrie des arômes et des conservateurs, ce fut le triomphe du marketing, visant en priorité les enfants qui n’ont pas les moyens psychologiques de se défendre.
Ils sont aujourd’hui incités de façon parfaitement déloyale par des spots publicitaires mensongers à se gaver de sucreries qu’on leur présente comme la clé d’une vie heureuse.
Dans la publicité pour « Kinder Schokobons », par exemple, diffusée en ce moment entre les dessins animés et sur Internet, on voit une famille « idéale » qui fait une partie endiablée de chaise musicale avec un personnage en forme d’œuf en chocolat Kinder qui donne une poignée entière de bonbons à un petit garçon et une petite fille blonde, qui se les fourrent dans la bouche en riant, sous les applaudissements de leurs parents.
« Kinder Schokonbons, le goût du fun ! », lance le drôle de bonhomme dans un éclat de rire.
Bien entendu, chaque enfant qui entend ce message est conquis : il n’a déjà, à la base, que trop envie de manger ces bonbons. Des millions d’années d’évolution nous ont programmés biologiquement à rechercher le sucre.
Mais lui faire croire en plus que manger ces bonbons lui apportera le bonheur d’un jeu en famille alors qu’il est en réalité sur son canapé, passif, peut-être depuis des heures, et probablement seul, je trouve cela, excusez-moi du terme, dég***lasse.
Et on laisse faire…
Le mouvement est-il en train de s’inverser avec la mode du bio, le vote écologique et le retour en force du « naturel » dans les préoccupations des gens ?
On peut en douter.
Il me paraît au contraire que la folie de la consommation, de la malbouffe, du gaspillage, et des loisirs désordonnés et dans toutes les directions, massacrant l’environnement, semant l’oubli et favorisant les maladies, prennent un tour plus consternant que jamais.
Quand chacun a possédé sa voiture, chacun a voulu aussi sa télé, sa console, et son smartphone. Maintenant que tout le monde a son smartphone, tout le monde veut son drone. Et il ne reste plus rien dans le porte-monnaie pour acheter de la bonne nourriture, et encore moins de temps pour faire son jardin ou même pour cuisiner.
Lors de mes deux dernières promenades dans la nature, où je me croyais pourtant à l’abri des nuisances sonores et technologiques, j’ai rencontré des citadins venus spécialement dans la campagne pour pouvoir… faire voler leur drone équipé de webcam. Sans la moindre gêne, les uns comme les autres envoyèrent leur engin accompagné d’un sifflement strident me filmer à quelques mètres à peine.
Ayant un physique somme toute quelconque, je ne voyais pas l’intérêt pour eux de prendre de telles images mais, manifestement, la tentation était irrésistible et cela les amusait au plus haut point.
Je me contentai donc d’un « coucou » amical aux drones. Puisque c’est inévitable, puisque nous sommes tous condamnés à devoir subir cela à moins d’un (très improbable) retour au bon sens, à la discrétion et au bon goût, puisque nous n’y pouvons rien, n’y pensons plus, me suis-je dit.
Mais que cela ne nous empêche pas de continuer à savoir baisser les yeux vers la terre pour y contempler les merveilles des plantes, ni les lever les yeux vers la majesté des grands arbres qui continueront, pour l’éternité, à nous offrir leurs prodiges.
À votre santé !
Jean Marc Dupuis
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