Aux Editions Broché, « Méditer, jour après jour » . L’auteur Christophe André Psychiatre, pratique la méditation depuis des années. Mais il l’utilise aussi pour soigner : il anime, à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, des groupes de méditation pour aider ses patients à se libérer de la souffrance et à savourer leur existence
LA PLEINE CONSCIENCE….
L’attention juste ou pleine conscience consiste à ramener son attention sur l’instant présent et à examiner les sensations qui se présentent à l’esprit, comment elles apparaissent, comment elles durent quelque temps, et comment elles disparaissent. Cette pratique permet de se rendre compte de façon directe si une sensation est quelquefois permanente ou bien toujours impermanente.
La pleine conscience se situe au-delà de la première forme de sagesse : la dévotion,
et au-delà de la deuxième forme : la logique de l’intellect
Elle est la troisième forme de sagesse, dite (bhavana-maya panna) :
la vision directe de la réalité ultime en toute chose.
Méditer, ce n’est pas se couper du monde, mais au contraire se rapprocher de lui pour le comprendre, l’aimer et le changer. C’est un moyen, accessible à tous, de cultiver la sérénité et le goût du bonheur. Méditer c’est s’arrêter, s’arrêter de faire, de remuer, de s’agiter. Au début, ce qu’on éprouve semble bizarre : il y a du vide (d’action, de distraction) et du plein (tumulte des pensées et des sensations dont on prend soudainement conscience). Il y a ce qui nous manque : nos repères et des choses à faire et, au bout d’un moment, il y a l’apaisement qui provient de ce manque. Les choses ne se passent pas comme à «l’extérieur», où notre esprit est toujours accroché à quelque objet ou projet : agir, réfléchir sur un sujet précis, avoir son attention captée par une distraction.
Dans cette apparente non-action de l’expérience méditative, on met du temps à s’habituer, à voir un peu plus clair. Comme dans le tableau. Comme lorsqu’on passe de la lumière à l’ombre. Nous sommes entrés en nous-mêmes, pour de vrai.
C’était tout près de nous, mais nous n’y allions jamais. Nous traînions plutôt dehors : à notre époque de sollicitations effrénées et de connexions forcenées, notre lien à nous-mêmes reste souvent en friche. Intériorités abandonnées… les extériorités sont plus faciles, et plus balisées. Alors que l’expérience méditative est souvent une terre sans sentiers.
Extrait
Il y a d’abord cette lumière jaune, intense, d’un soleil d’hiver qui brille au-dehors. Un soleil qui éblouit sans réchauffer. Puis on découvre le vieil homme immobile. II s’est détourné de sa table de travail et du livre qu’il étudiait : pour réfléchir ? Se reposer ? Méditer ? Notre regard glisse ensuite vers la droite et remarque la porte basse de la cave. Puis il est attiré par l’escalier en colimaçon. Au moment où il s’apprête à gravir les premières marches, il découvre le feu qui crépite dans l’âtre et une femme attisant la braise. Il revient vers l’envol des marches : mais elles ne conduisent qu’à de l’obscurité.
Le tableau est petit, le lieu qu’il dépeint est sombre, mais on a le sentiment d’un vaste espace. C’est le génie de Rembrandt, qui fait voyager notre regard dans toutes les dimensions. En largeur, depuis la gauche, d’où irradie la lumière du jour, vers la droite, où celle du feu est fragile, presque dérisoire; le dialogue d’un soleil qui éclaire sans réchauffer et d’un feu qui réchauffe sans éclairer ; soleil de la raison et feu de la passion, deux ingrédients pour philosopher ? En hauteur, avec cet escalier en colimaçon qui relie profondeurs secrètes de la cave et mystères obscurs de l’étage. En profondeur, depuis le fond du tableau où siège le philosophe jusqu’au cercle de ténèbres qui l’entoure. Mais le sentiment d’espace vient aussi du jeu subtil entre le dévoilé et le caché.
Dans la pièce où médite le philosophe, il y a moins de lumière, alors il faut ouvrir les yeux plus grand. En nous-mêmes aussi : il y a moins d’évidences et de réassurances, alors nous avons à ouvrir plus grand les yeux de notre esprit. On pensait, on espérait trouver le calme, le vide. On tombe souvent sur un grand bazar, du tapage, du chaos. On aspirait à la clarté, on a trouvé la confusion. Parfois, méditer nous expose à l’angoisse, à la souffrance, à ce qui nous fait souffrir et qu’on évitait en pensant à autre chose, en s’agitant ailleurs.
Ce qui importe, c’est ce qu’on imagine : de l’autre côté de la fenêtre, derrière la porte de la cave, en haut de l’escalier. Et le plus vaste de ces univers cachés à nos yeux qui sont passés trop vite : l’esprit du philosophe, son monde intérieur. Ténèbres et pénombres, un peu de lumière, un peu de chaleur. Et un esprit en marche. Est-ce à cela que ressemble notre intériorité ?